Rencontre avec Alice Feiring 

ALICE FEIRING

Quand mes parents se sont séparés, au début des années 80, mon père a emménagé avec sa nouvelle amie, Phyllis, dans l’appartement de son ancien mari, Arthur, amateur de vin. Un jour que je rendais visite à mon père, je suis allée voir la cave de cet Arthur, très basse de plafond, même pour moi qui ne mesure que 1,50 m, poussiéreuse et où il faisait beaucoup trop chaud. Je ne voyais rien d’intéressant quand je suis tombée sur une bouteille de Giovanni Scanavino, un barolo millésime 1968. Malgré les mauvaises conditions de conservation, il était magnifique, c’était ma première vraie émotion avec le barolo, qui me poursuivra toute ma vie.

ALICE FEIRING

C’était une commande mais c’était passionnant à écrire, pour les rencontres que j’ai faites. Nancy et John Lasseter, fondateurs de Pixar, Ryan Seacrest, animateur d’American Idol, ou l’entrepreneur Rick Ryan, par exemple. Ils avaient imaginé des endroits somptueux, mis beaucoup d’argent dans des temples romains, des cathédrales dédiées au vin. Globalement, j’ai compris que c’était quand même beaucoup une affaire d’ego.

ALICE FEIRING

Je vis dans un immeuble de New York, au dernier étage. Je suis très désorganisée, anarchique, il y a environ 300 bouteilles un peu partout où je peux en mettre ! Chercher un vin est parfois difficile mais je sais ce que j’ai et j’aime re-découvrir ce que j’avais oublié. Si j’étais consultante en constitution de cave, je dirais « faites ce que je dis mais pas ce que je fais » (sourire). 

ALICE FEIRING

Il faudrait avoir une cave pour ce que l’on peut boire tout de suite, une autre pour les vins de garde et une dernière pour l’entre-deux. Il faudrait aussi ranger séparément les blancs, les bulles et les rouges, mais également les vins de macération que j’aime tant. Et à l’intérieur de ces sections, on classerait par pays puis par région.

ALICE FEIRING

Pas du tout ! Il y a des vins « glouglou » dans les vins naturels, faits pour être bus rapidement, mais allez au Châteaubriand (restaurant du chef Inaki Aizpitarte, Paris 11e), au Danemark ou au Japon, par exemple, vous y trouverez de très vieux millésimes de vins naturels. Les vins d’un domaine comme la Stoppa, en Italie, soumis à une longue macération et à un long vieillissement en cave, sont faits pour durer. D’une manière générale, les vins naturels pleins de tanins, qui protègent le vin comme le ferait le soufre, ont un grand potentiel de garde. J’ai bu récemment un « basique » pinot noir de Fred Cossard, millésime 2000, c’était encore très frais. Les vins des sœurs Haquet, pionnières du vin naturel en Anjou, pouvaient se boire pendant très longtemps. Même chose pour Sébastien Dervieux, dit « Babass », qui a repris certaines de leurs vignes, ou pour les vins de Château Musar, au Liban, dont j’ai bu certains millésimes d’avant 1966, vinifiés jusque-là sans soufre. Quand le vin est bien structuré, bien équilibré, il peut vieillir.

ALICE FEIRING

Il faut s’informer, lire, parler à son caviste. Il faut aller voir les vignerons, déguster et développer son palais.

ALICE FEIRING

Je suis pessimiste par nature, je pense que tout est un désastre (rire). Sérieusement, le vin naturel est là, ça n’est pas une mode. Il est en revanche nécessaire que les vignerons soient soutenus, par les États, pour qu’ils puissent exister et pour que le vin soit accessible, pas comme la botte de feuilles de moutarde que j’achète à 8 $ à New York. Il ne faut pas que l’on achète à manger ou à boire comme on achète un collier dans une bijouterie. 

ALICE FEIRING

Pendant le confinement, je me suis réfugiée chez moi. Mon ami, un peu hypocondriaque, était à l’autre bout de Manhattan. J’ai acheté beaucoup de vin et j’ai bu seule. J’ai commencé à écrire sur le sujet pour un magazine et mon agent m’a appelé pour me commander un essai sur le vin. J’ai pensé que personne ne lirait ça, alors j’ai eu l’idée de convoquer mes souvenirs comme un prétexte à parler du vin, à entrer dans la tête des gens comme par effraction. Ça a donné 15 chapitres où je parle aussi bien de résurrection après une visite à Auschwitz-Birkenau, à propos d’un ancien musicien victime d’une attaque et qui a guéri en taillant la vigne, ou comment j’ai failli devenir l’assistante de Nina Simone après lui avoir apporté un chenin du Domaine Huet, dans la Loire.

ALICE FEIRING

Je n’éprouve pas de sentiment de fierté. En revanche, je suis heureuse quand j’ai le sentiment d’avoir eu un impact. Un jour, un vieil amateur qui n’avait dans sa cave que de grandes étiquettes de vins conventionnels, m’a raconté qu’il avait tout donné ou vendu après avoir lu mon premier livre, Le Vin nu (Éditions Jean-Paul Rocher), pour ne plus acheter que du vin naturel. J’ai fait ma part.